Charles Diehl, créateur du cours d’archéologie
La mémoire du grand byzantiniste Charles Diehl, auteur notamment d’une importante histoire administrative de L’Afrique byzantine (1896) et d’un Manuel d’art byzantin (1910) qui firent date, n’est aujourd’hui plus associée à l’université de Nancy ni à l’archéologie classique : c’est pourtant à lui que revient, comme maître de conférences d’histoire ancienne, d’avoir créé en 1887 le cours d’archéologie et commencé à doter la faculté des collections pédagogiques – ouvrages spécialisés, photographies et moulages – nécessaires pour soutenir cet enseignement. Malgré le succès de ce cours, la promotion puis le départ de son titulaire à Paris pour enseigner l’histoire byzantine repoussèrent le développement institutionnel de l’archéologie à Nancy d’une décennie.
Byzantiniste érudit et vulgarisateur des découvertes archéologiques
Né à Strasbourg en 1859, Charles Diehl mène des études particulièrement brillantes : entré deuxième à l’École normale supérieure (1878), il est reçu premier à l’agrégation d’histoire (1881), avant devenir membre de l’École française de Rome (1881) puis de l’École française d’Athènes (1883). En Italie comme en Grèce, il se spécialise dans l’étude des monuments et de l’art byzantin et ne pratique l’archéologie classique que sous la forme de la prospection épigraphique, notamment en Asie mineure.
Chargé en 1885 d’une maîtrise de conférences d’institutions grecques et romaines à la Faculté des lettres de Nancy, il est tout désigné pour répondre à la sollicitation du ministère d’y créer un cours d’archéologie, en 1887. Ce cours complémentaire sur les grandes découvertes de l’archéologie classique est un grand succès populaire : il en tire un ouvrage de vulgarisation, Excursions archéologiques en Grèce, qui connaît onze éditions de 1890 à 1927 et qui est traduit en anglais et en grec. Il lui vaut une carrière parallèle de conférencier comme directeur scientifique des croisières organisées par la Revue générale des sciences autour de la Méditerranée (1897-1911).
Le cours d’archéologie ne survit que quatre ans, malgré le programme ambitieux annoncé par son titulaire dans sa leçon inaugurale. Il s’ouvre surtout dès sa troisième saison sur l’archéologie romaine, avec les fouilles d’Herculanum et de Pompéi, en 1890, et les monuments antiques de Rome, en 1891.
En décembre 1888, Diehl soutient à la Sorbonne sa thèse latine sur Xénophon et sa thèse principale sur l’Exarchat de Ravenne, la première de ses grandes monographies d’histoire byzantine. Nommé professeur d’histoire ancienne – nouvelle chaire d’histoire créée pour lui à Nancy – en juin 1891, il cesse d’être chargé du cours d’archéologie qui disparaît de fait jusqu’en 1898. Son dernier cycle de conférences d’archéologie, en 1891-1892, traite de l’Afrique romaine : il prépare paradoxalement la reprise d’une activité de terrain archéologique, avec deux campagnes de prospection des monuments d’Afrique byzantine, en 1892-1893, qui lui fournissent la matière à son deuxième grand livre de byzantiniste, en 1896.
Titulaire de la première chaire d’histoire byzantine à la Sorbonne
Créateur du premier cours d’archéologie classique à la faculté de Nancy, Charles Diehl en assure le succès par ses qualités de conférencier, servies par ses facilités d’écriture et l’innovation que constituent les projections photographiques des sites et des monuments. Mais ses propres préoccupations scientifiques restent trop éloignées de l’archéologie grecque et romaine qu’on lui demande d’enseigner dans ce cadre pour qu’il s’y investisse durablement. À ce titre, le choix qu’il préconise dès 1888 de capitaliser les subventions du ministère plutôt que de constituer progressivement une collection de moulages est aussi révélateur, même si les difficultés d’implantation du futur musée d’archéologie sont bien réelles.
Pendant les quatorze années de son enseignement à Nancy, Diehl multiplie les publications d’art byzantin, telles L'église et les mosaïques du couvent de Saint-Luc en Phocide (1889), longtemps restée la seule monographie sur cet important monastère, ou encore les Mosaïques byzantines de Nicée (1892), ainsi que toute la série de ses travaux sur les monuments d’Italie du Sud. Pourtant, ils ne donnent pas lieu, semble-t-il, à des conférences, comme si l’art pictural byzantin était un sujet trop exotique pour son public.
Seule la Sorbonne peut offrir à Charles Diehl la possibilité d’enseigner sa spécialité scientifique, alors que les études byzantines sont encore embryonnaires en France : en 1899, il y est chargé d’un cours complémentaire et quitte Nancy tout en restant titulaire de sa chaire. Ce n’est qu’en 1907 que sa nomination comme professeur d’histoire byzantine à la Sorbonne libère enfin cette chaire d’histoire ancienne de la faculté des lettres de Nancy : elle est transformée deux ans plus tard en chaire d’archéologie et d’histoire de l’art au bénéfice de Paul Perdrizet.
Samuel Provost
Cycles de conférences publiques à la faculté des lettres de Nancy
1887-1888 : Les grandes découvertes de l'archéologie classique au XIXe siècle.
1888-1889 : Les sujets de genre dans l'archéologie classique.
1889-1890 : Les fouilles d'Herculanum et de Pompéi.
1890-1891 : Les monuments antiques de Rome.
1891-1892 : L'Afrique romaine.
1894-1895 : La civilisation byzantine sous le règne de Justinien.
Bibliographie
Charles Diehl, Études sur l'administration byzantine sous l'exarchat de Ravenne (568-751), Paris, 1888 (thèse principale).
———, Quo tempore, qua mente scriptus sit Xenophontis libellus qui Poroi inscribitur, Paris, 1888, 1 vol. in-8° (petite thèse).
———, Études d'archéologie byzantine; l'église et les mosaïques du couvent de Saint-Luc en Phocide, Paris, 1888.
———, « Peintures byzantines de l'Italie méridionale : Les grottes érémitiques de la région de Brindisi », Bulletin de correspondance hellénique, 1888, vol. 12, n°1, p. 441-459.
———, « Cours d’archéologie. Leçon d’ouverture », Annales de l’Est, 2, 1888, p. 20‑43.
———, « Les Sujets de genre dans l'antiquité classique, leçon d'ouverture du cours d'Archéologie à la Faculté des lettres de Nancy », Annales de l'Est, janvier 1889, p. 37-57.
———, Excursions archéologiques en Grèce: Mycènes, Délos, Athènes, Olympie, Éleusis, Épidaure, Dodone, Tirynthe, Tanagra, Paris, Armand Colin, 1890.
———, L'art byzantin dans l'Italie méridionale, Paris, Librairie de l’Art, 1894.
———, L'Afrique byzantine, histoire de la domination byzantine en Afrique (533-709), Paris, Leroux, 1896
———, En Méditerranée: promenades d’histoire et d’art, Paris, 1901.
———, Figures byzantines, Paris, 1908
———, Manuel d’art byzantin, Paris, 1910.
Bibliographie critique
Judith Soria, Jean-Michel Spieser, « DIEHL, Charles », dans Philippe Sénéchal, Dictionnaire critique des historiens de l'art, Paris, INHA [en ligne].
Michel Charles, « Charles Diehl », dans Christophe Charle (dir.), Les Professeurs de la faculté des lettres de Paris : dictionnaire biographique : 1809-1908, Paris, Institut national de recherche pédagogique, éditions du CNRS, 1985.
René Dussaud, « Notice sur la vie et les travaux de M. Charles Diehl », Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1945, p. 57-587.
Paul Lemerle, « Charles Diehl 1859-1944 », Revue archéologique 35, 1950, p. 93-97.